TRANSPLANT BLUES

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  • #12491
    bd91
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    Après la relation de mes aventures désopilantes narrées dans DIALYSE SONG, et à la demande générale (!), je réitère en vous faisant partager mon expérience de transplanté rénal, dans le même ton que le précédent.
    Bonne lecture… et comme toujours, n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires !

    ================================================

    Chapitre 1 : Paul Brousse

    Le porche est imposant, à l’ancienne, et débouche sur un parterre fleuri encadré de constructions en meulière. Un grand panneau indicateur montre le plan de l’hôpital, avec ses bâtiments disséminés à l’intérieur de cet îlot presque incongru dans ce quartier animé.

    Tellement fréquenté, d’ailleurs, qu’il ne m’a pas été facile de me garer… en plus, à perpète !

    Je consulte le papier de ma convocation pour relire le nom du bâtiment et du service où je dois me rendre : Néphrologie… un nom encore bien plein de mystères mais dont je comprendrais bientôt toute la signification.

    Crevons tout de suite l’abcès pour les néophytes ! La néphrologie est la spécialité médicale visant à prévenir, diagnostiquer et soigner les maladies des reins. Elle est différente de l’urologie, spécialité chirurgicale s’intéressant à l’appareil génital masculin et à l’ensemble du système urinaire (reins, uretères, vessie, prostate, urètre).

    Le mot néphrologie vient des mots grecs nephros (rein) et logos (étude).

    Et me voilà parti à la recherche de mon point de chute dans le dédale de cet ensemble hospitalier.

    Situé sur le plateau de Villejuif dans le département du Val de Marne à 3 km au sud de Paris, l’hôpital Paul Brousse construit en 1913 porte à titre d’hommage public le nom du Conseiller Général à la fois médecin et homme politique qui avait oeuvré pour sa réalisation. Il est rattaché à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris depuis 1962.

    Les différents services sont repérés sur le plan que j’ai récupéré à l’accueil par des noms de secteurs, différenciés par couleurs. Les bâtiments sont de toutes les formes et de styles différents… on progresse soit en les contournant, soit en les traversant par des couloirs et des cours intérieures. De quoi se paumer… pas évident ! Et des voitures… stationnées un peu partout, à la sauvage (comment ont-elles eu la permission de rentrer ?), et des ambulances déversant ou emportant leurs lots de brancards et de malades.

    Depuis que j’ai passé l’entrée principale, j’ai l’impression d’avoir pénétré dans un monde à part, hors du temps et de la vie courante. Cette impression n’est pas prête de me quitter pour les vingt ans à venir ! Voyage dans la quatrième dimension de la médecine.

    Je n’ai pas fini de fréquenter les hôpitaux, cliniques, laboratoires, cabinets… d’arpenter des couloirs, de cavaler de service en service, de poireauter dans des salles d’attente, de rencontrer des blouses blanches, de coucher dans des lits plus ou moins articulés, de me faire piquer, cathétériser, ponctionner, perfuser, intuber, entuber, radiographier, palper, charcuter, agrafer, panser, recoudre… et j’en passe !

    Mais, qu’est-ce qui m’a amené là, en ce jour de printemps de l’an de grâce 1987 ? Quel a été l’élément déclencheur de ce passage dans cette nouvelle vie ?

    Il me faut remonter à quelques semaines en arrière, sur les lieux de mon activité professionnelle, lors du contrôle annuel de la médecine du travail.

    Je ne vais sûrement pas me faire des amis, mais, les médecins du travail que j’ai connu, il faut dire que ce n’étaient pas tous des lumières ! Entendons-nous bien, je ne généralise pas… je n’ai certainement pas du avoir beaucoup de chance en ce qui concerne la plupart de ceux et de celles que j’ai fréquenté !

    Un exemple parmi tant d’autre. Bien des années auparavant, dans un autre lieu, je patientais, dans la salle d’attente, avant mon passage dans le cabinet de la doctoresse de la médecine du travail, quand deux ouvriers, qui faisaient des travaux de maintenance sur le site, arrivèrent précipitamment… l’un soutenant l’autre qui maintenait un chiffon autour de sa main gauche d’où s’égouttait un flot de sang laissant une trace derrière eux.
    Leur entrée, peu discrète, et les exclamations des deux hommes firent sortir la toubib de son bureau. Au premier coup d’œil qu’elle porta sur le tableau, je l’ai vue franchement blêmir ! En portant ses mains à sa bouche, elle s’écria : « Mon dieu, ce que vous devez souffrir ! Et tout ce sang ! Vite… vite… amenez-le à la clinique d’à côté ! »

    Voilà… sans commentaire.

    Je reviens à ma visite. Eh bien, pour me faire démentir (je n’ai rien de personnel contre cette honorable profession), mon médecin de ce jour était sans doute plus « qualifié » que ceux que j’avais connus auparavant. En effet, c’est lui qui fut l’élément déclencheur de mon parcours néphrologique du reste de mon existence !

15 réponses de 1 à 15 (sur un total de 46)
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  • #12529
    gadoune
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    • 155Message(s)

    Bonsoir 😀
    Continue, le premier épisode démarre bien!!!
    Bonne soirée!

    #12530
    bd91
    Participant
    • Néphropathe confirmé
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    • 594Message(s)

    (Merci Gabel ! Cà tombe bien, je livre ce soir le deuxième épisode !)

    Chapitre 2 : Haute tension…

    Visite de routine, donc, une fois par an… le truc un peu chiant, surtout quand on doit lâcher un boulot prenant ou urgent pour aller, séance tenante, pisser dans un verre, se faire contrôler la vue en lisant le sempiternel panneau aux lettres qui rapetissent à chaque ligne, se faire tripoter à moitié à poil en racontant ses états d’âme à un toubib que l’on ne reverrait pas de sitôt !

    Jusque là pour moi, les docteurs, comme la plupart des « biens portants », on ne peut pas dire que j’avais beaucoup contribué à alimenter leurs comptes en banque. Pas plus malade que quiconque, en somme… je ne connaissais pas mon bonheur ! Le destin voulait qu’il soit temps que cela change !

    Un petit problème constant cependant, et ce depuis la petite enfance : à chaque examen d’urine, des traces d’albumine. J’ai récupéré, depuis, auprès de mes parents, mon carnet de santé de quand j’étais gamin et retrouvé ces mêmes annotations à partir de l’âge de 8 ans.

    J’ai également le souvenir d’examens périodiques contrôlant tous les paramètres liés au fonctionnement de mes reins, mais cela n’est jamais allé au-delà en matière d’investigations plus poussées ou de régime approprié.

    Avec le recul, mon expérience et mes connaissances actuelles, je pense que tout n’a pas été suffisamment fait pour diagnostiquer et enrayer éventuellement les prémices de cette maladie. La médecine, et surtout la prévention, ont fait fort heureusement bien des progrès depuis cette époque d’après guerre !

    Pas de pot pour moi… je suis né juste un peu trop tôt ! Mais, « les regrets ne sont que des ratures » comme l’a dit un auteur célèbre…

    Ce jour là, bien entendu, ce phénomène routinier ne dérogea pas à la règle… positif, comme d’habitude ! Je n’y attachais pas plus d’importance que les autres fois.

    La grande nouveauté, par contre, lorsque je fus étendu sur la table d’auscultation, ce fut un affichage de tension pour le moins astronomique puisqu’il plafonnait à pas moins de 22 ! Résultat d’autant plus inattendu que je ne ressentais aucun malaise particulier (pas de mal de crâne, par exemple), à l’exception peut être d’une certaine fébrilité… caractéristique bien particulière et assez exceptionnelle dans mon cas, mais passant tellement inaperçue et sournoise qu’elle n’en était que plus redoutable. Depuis combien de temps, sans m’en apercevoir, traînais-je cette saloperie ?

    Cette légère nervosité se transforma alors en quasi panique à l’énoncé de ce record dont je me serai bien passé !

    Mon toubib d’occasion n’avait pas l’air bien fier non plus, d’un seul coup ! Sans doute présentait-il que j’allais soudainement lui « péter une durite », genre anévrysme fulgurant, lui faire le coup de l’infarctus du myocarde sauvage, de syncoper sévère, de collapser grave, avec, en prime, une manifestation thrombo-embolique, une ch’tite encéphalopathie hypertensive, et pour finir, des crises convulsives ?

    – Ah, non, pas de ça Lisette ! Pas dans mon cabinet ! Je n’ai pas pignon sur rue, moi ! Je ne suis pas conventionné ! Juste fonctionnarisé ! La sécurité de l’emploi, d’accord, mais les emmerdements, niet !

    Là, j’avoue, je littéralise, je brode, j’imagine, je me fait lecteur de pensées…Eh, oh ! J’ai le droit d’inventer, si je veux… c’est moi qui raconte d’abord ! Il me plait à imaginer que cela aurait pu être les réactions d’affolement de mon praticien !

    Bref, même si j’exagère un brin, le docteur il avait quand même envie de refiler le problème à un confrère de ville… si possible du côté de mon domicile, si vous voyez ce que je veux dire…

    Bon, je ne lui en voulais pas… après tout, il avait fait son boulot, non ?

    Il me conseilla donc de laisser mon travail en plan sur le champ, de ranger sagement mes petites affaires, et de me faire raccompagner, en ambulance (!), chez moi dans un premier temps, puis de consulter mon médecin de famille dans les plus brefs délais ! Tout ça tout en rédigeant, d’une main nerveuse, une lettre destinée à cet auguste collègue.

    De quoi sacrément me rassurer et calmer ma tension, ces conclusions !

    Fin du premier acte… et début de ma saga néphrologique.

    #12550
    bd91
    Participant
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    Chapitre 3 : Chez le Cardio

    Finalement, c’est un collègue sympa qui m’a raccompagné en voiture comme si j’étais en porcelaine, en me couvant pendant tout le trajet d’un œil inquiet : Yves Montand dans « Le salaire de la peur » s’attendant à ce que la nitro éclate au moindre cahot !

    Et moi qui passait mon temps à me tâter le pouls en guettant le moindre à-coup de mes pulsations… plutôt pâlichon l’hypertendu… franchement mou du genou… l’air faiblard de circonstance… je me voyait déjà à l’agonie ! Et dire qu’une heure à peine avant je me sentais en pleine forme ! Comme quoi l’annonce d’une nouvelle déplaisante peut influer sur le physique !

    Arrivé at home, rescapé de ce rapatriement sanitaire, mon premier souci fût de prendre rendez-vous chez le toubib de famille… manque de chance, il était en congés ! Bon… il fallait en trouver un autre !

    A mon avis, à coup sûr, un problème d’hypertension, cela ne pouvait provenir que du cœur ! Qui dit cœur dit cardiologue ! C’est sur cette hypothèse que je me suis retrouvé, l’après-midi même, dans le cabinet de cet éminent spécialiste qui avait bien voulu me recevoir en urgence, compte tenu de mon état et surtout de mon insistance.

    Plutôt sympa et compétent, le cardio. Après lecture de la lettre du confrère et un interrogatoire en règle sur mes antécédents médicaux, j’eu droit à un examen poussé : stéthoscope, prise de tension (21 !) et électrocardiogramme (normal)

    De prime abord, le diagnostic n’était pas évident, mais la mention de l’albumine dans mes urines l’incita à me prescrire une analyse sanguine des plus musclées. Il ne me dit rien de plus, préférant attendre les résultats du prélèvement avant de se prononcer. Je me doute, aujourd’hui, qu’il devait déjà bien avoir sa petite idée à propos de mon cas, mais j’étais alors totalement naïf sur les origines de mon état de santé. Il me prescrivit néanmoins, pour diminuer mon hypertension, un médicament dont j’avoue ne pas avoir gardé le nom.

    Au matin du jour suivant, je me suis rendu, à jeun, au Laboratoire d’analyses biologiques de mon quartier pour l’examen sanguin en question. Les résultats ne seraient disponibles que le lendemain.

    Je ne dirais pas que j’ai passé alors la meilleure nuit de ma vie. De nature habituellement plutôt insomniaque, la nervosité engendrée par les événements de la journée ne contribua pas à améliorer mon sommeil. Des tas d’idées plus ou moins noires et morbides peuplaient mes pensées… rien de tel que de vous déclarer malade pour que vous le deveniez réellement !

    La lecture de mes analyses ne m’apprit pas grand-chose de plus… à l’évidence, je n’y connaissais rien, à l’époque. Tout juste, par comparaison aux taux normaux affichés en regard des « substances » concernées, la constatation de chiffres assez supérieurs en ce qui concernait une certaine « créatinine » (inconnue au bataillon !) et l’urée.

    Il me fallut attendre encore deux jours pour en savoir plus en retournant chez le cardiologue.

    Celui-ci décrypta les hiéroglyphes de mes analyses en prenant un air de plus en plus soucieux au fur et à mesure de sa lecture… Visiblement, ses premières impressions ressenties lors de ma visite précédente, semblaient se confirmer. C’est d’ailleurs ce qu’il me déclara, en reposant les feuilles du labo.

    -« Monsieur, je crains fort que vos soucis de tension proviennent, en fait, d’un problème rénal !

    Il m’expliqua alors, de façon assez schématique et compréhensible, que la concentration de créatinine et d’urée, substances produites par mon organisme et devant être éliminées par les reins, était plus grande que la normale et pouvait laisser imaginer un dysfonctionnement de la filtration rénale. Cette présomption de diagnostic était d’ailleurs renforcée par mon HTA (hypertension artérielle) et ma protéinurie (albumine)

    Néanmoins, il était nécessaire de procéder à des examens supplémentaires plus poussés pour se prononcer de manière plus complète. Le mieux serait, dans mon cas, de consulter un néphrologue… j’appris alors la signification de ce terme… quelle grande découverte !

    Il connaissait personnellement un éminent professeur qui dirigeait le service de cette spécialité, à l’Hôpital Paul Brousse de Villejuif (qui était assez proche de mon domicile, à l’Haÿ-les-roses), et me conseilla de prendre rendez-vous avec lui, muni des résultats d’analyses complémentaires qu’il allait m’ordonner, et d’un courrier.

    Eh bien, voilà… nous sommes entrés dans le vif du sujet !

    #12564
    bd91
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    Chapitre 4 : Visite publique ou privée ?

    – Bonjour, Madame… je voudrai un rendez-vous avec le professeur F…, s’il vous plaît !
    – Ouuui ! En visite publique ou privée ?

    Je me demande si j’ai bien tout compris. Heu ? Ca veux dire quoi ce charabia ? Je suis à l’école ou à l’hôpital ? Publique… privée ?
    – Quelle est la différence, s’il vous plaît ?

    La réponse de la secrétaire laisse percevoir un soupçon de lassitude et son ton se fait monocorde. Elle doit avoir une certaine habitude de répondre à cette question :
    – La visite privée… vous êtes reçu directement par le professeur qui s’occupe personnellement de vous ! La publique… un interne vous voit d’abord et vous verrez le professeur, ensuite !

    Bon, je n’étais pas idiot… j’ai compris que la visite privée devait être aussi de nature à ouvrir largement son portefeuille sans espérer un remboursement bien conséquent ! Je suis, à vrai dire, tombé un peu des nues, sur le coup… première fois que j’entendais parler d’une telle « discrimination »… je venais de faire connaissance avec la médecine à deux vitesses, en gros, à celle des pauvres et à celle des riches !
    – Eh bien, on va peut être démarrer avec une visite normale, pour une première fois… on verra, par la suite, ce que je déciderai !

    Je sentis, pendant la suite de notre entretien pour convenir d’une date et d’un horaire, au ton de mon interlocutrice, que celle-ci venait de me classer immanquablement dans la catégorie des patients du tout-venant, pour ne pas dire des assistés sociaux ! La honte, quoi !

    J’ai appris depuis que cette pratique était le moyen de retenir les professeurs chefs de service dans le milieu hospitalier qui, sinon, émigreraient vers des lieux plus rémunérateurs (cliniques ou cabinets privés). Soit… mais ma tendance naturelle à un certain égalitarisme a encore aujourd’hui un peu de mal à l’admettre !

    Il ne fallait pas que je me plaigne… après tout, j’allais être reçu par une sommité, même si la visite ne s’éterniserai sans doute pas.

    Pas de rendez-vous disponible avant 15 jours ! D’ici là, j’avais largement le temps de faire mes examens complémentaires et en particulier un qui nécessitait le recueil de mes urines pendant 24 heures !

    J’ai repris le travail au bout de trois jours. J’allais tous les matins me faire contrôler la tension à l’infirmerie du service médical. Le médicament avait commencé à agir puisqu’elle était redescendue aux alentours de 15/16, ce qui était malgré tout encore trop élevé.

    Les jours passèrent sans apporter de fait nouveau.

    Et me voici revenu au début de mon récit, après ce flash-back explicatif, dans cet hôpital de Villejuif, à la recherche du service de néphrologie. Bien évidemment, celui-ci se trouve quasiment à l’opposé de l’entrée… j’ai largement le temps d’admirer le paysage… pas des plus réjouissants, au demeurant.

    Oui, je sais, ce n’est pas un parc de loisirs même si l’on peut constater quelques tentatives de rendre moins austère les lieux par des parterres d’herbe et de fleurs et des plantations d’arbres divers et variés. N’empêche, l’allure des bâtiments aux façades assombries par le temps et aux grandes fenêtres parfois munies de barreaux n’est pas des plus engageant.

    J’arrive enfin à l’avant dernier bâtiment, devant une pancarte qui affiche le nom du service. Je pénètre par une haute porte vitrée qui débouche dans un long couloir dont le plafond culmine à plus de trois mètres.

    Un nouvel environnement auquel je vais être forcé de m’habituer pendant un bon moment !

    #12574
    bd91
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    Chapitre 5 : Salle d’attente

    Une impression de gigantisme, tant par la hauteur que la longueur du couloir. Face à l’entrée, un escalier monumental monte à l’étage. Une enfilade de portes tout le long du couloir, et par endroit, des baies à mi-hauteur aux vitres teintées.

    Partout, des panonceaux indicatifs de services ou de noms de médecins. L’un d’entre eux attire plus particulièrement mon attention, à l’entrée d’un renfoncement donnant directement sur le couloir, celui du secrétariat.

    Une femme en blouse blanche trône derrière un comptoir, devant un écran et une batterie de téléphones. Je lui tends ma convocation. Après un rapide coup d’œil, elle me rend le papier et me dis, en me montrant une direction de sa main tendue : -« Patientez dans la salle d’attente ! »

    Ah, ça, patienter ! Voilà une nouvelle activité où je vais bientôt exceller ! Je vais y consacrer un paquet d’heures dans les années à venir !

    Patient… terme ô combien ambigu, à double sens. Ce n’est pas, comme on pourrait le croire, quelqu’un qui fait preuve de patience, bien que dans certaines de nos situations il ne faut pas en manquer ! Non… cette dénomination vient tout simplement du latin patiens, –entis, de pati, souffrir.

    Une autre définition pour le patient désigne « l‘être animé typiquement passif impliqué dans un événement qu’il ne contrôle pas »… pas mal non plus pour des malades chroniques !

    Toujours est-il que me voilà effectivement en train de patienter dans cette salle destinée à cet effet… entouré d’une quinzaine de personnes, de tous sexes, tous âges, toutes conditions. On se regarde du coin de l’œil, sans ostentation pour ne pas se gêner, mais on se doute bien que l’on est tous là pour les mêmes causes et les mêmes effets. Une certaine solidarité dans la misère de nos corps !

    Les plus calmes ont l’air d’avoir leurs habitudes… ce doit être des « anciens », des permanents de la néphro ! Cela se traduit à la fois par une certaine assurance et une passivité remarquable, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

    On reconnaît aisément les petits nouveaux à une certaine agitation et un énervement qui les animent : ils gigotent sur leur chaise, regardent leur montre toutes les deux minutes, poussent de longs soupirs et se lèvent pour aller s’inquiéter de leur tour de passage auprès de la secrétaire.

    Moi, de par nature assez posé, je me contente d’attendre, bien sagement, sûr qu’à un moment ou un autre, quelqu’un viendra bien s’enquérir de ma personne !

    C’est ce qui arrive, finalement, au bout de trois quart d’heure… mon nom résonne dans la pièce… un jeune homme en tenue de médecin me hèle depuis l’entrée de la salle. Quand je dis tenue médicale, elle ne se distingue que par la blouse traditionnelle, car le reste n’est pas très orthodoxe ! Chemise à carreaux, Jeans plutôt douteux et effrangé au bas, et baskets assez innommables ! Ah, la tenue des internes a bien changé, ma pauv’e dame !

    Il me précède dans le couloir… et donc, je le suis.

    Nous pénétrons dans une pièce où se trouvent un bureau, trois chaises et une table d’auscultation. Sur l’une des chaises, derrière le bureau, une jeune fille, interne également mais d’une mise plus soignée que celle de son camarade.

    Je vous passe les détails… présentation, lecture de ma lettre d’introduction et des résultats de mes différentes analyses, questionnaire complet sur mes antécédents médicaux. Au fur et à mesure de mes réponses et de la lecture des documents, tous les renseignements sont annotés dans un cahier.

    Ce n’est que le début de mon dossier qui n’a pas fini de s’épaissir au fil des années à venir.

    #12599
    bd91
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    Chapitre 6 : Le grand patron…

    Mes deux « enquêteurs » sont un peu gauches, empruntés, parfois hésitants. Le gars me paraît, à vrai dire, franchement « à l’ouest », un peu à côté de ses pompes, pas franchement bien réveillé… il a dû faire la java la veille au soir ! Sa copine, plus sérieuse et attentive, passe son temps à le reprendre… tout juste si elle ne lui arrache pas le stylo des mains pour écrire à sa place.

    Moi, ça me fait doucement rigoler… et dire que ce sont les mêmes qui, dans quelques années, prendront des airs supérieurs et infaillibles et nous feront croire qu’ils connaissent leurs sujets sur le bout des doigts !

    En attendant, ça patauge sec. Le gars, qui a entrepris de me prendre ma tension, me colle le brassard à l’envers ! Sa copine s’énerve et lui reprend la main… heureusement qu’ils n’ont pas à me faire une piquouse !

    Je ne sais pas en quelle année ils sont mes deux branquignols, mais ils me font passer un bon moment. Apparemment, ils ont fait le tour de mon cas… n’ont plus de question à me poser… circulez, y’à rien à voir ! Retour en salle d’attente… heureusement, j’avais flairé le coup, j’avais emmené un bouquin pour passer le temps !

    Un bon moment plus tard, on m’appelle de nouveau… cette fois-ci, c’est pour le grand patron !

    Je pénètre dans un autre bureau, semblable au précédent. Derrière le bureau se tient un homme, pas très grand, plus tout jeune, aux cheveux blancs. La blouse blanche de rigueur, cravate, chemise claire. Le regard est vif et pénétrant… je me sens jaugé au premier coup d’œil. A côté de lui est assis mon interne folklo de tout à l’heure.

    Un bonjour un peu distant auquel je réponds, l’air pas très assuré comme si je passais un oral d’examen…

    Apparemment, il a déjà consulté les notes prises par ses deux élèves, ainsi que les résultats de mes analyses et la lettre du cardiologue. Il me lâche alors à brûle-pourpoint :
    – C’est très embêtant !

    Ah, dis donc, la douche froide… ça commence bien, la visite ! Je déglutis avec peine en attendant la suite des catastrophes !
    – Vous avez un grave problème rénal… c’est très soucieux… il faudrait que nous fassions d’autres examens… nous allons fixer un rendez-vous pour une biopsie… vous serez hospitalisé 24 heures !

    En un instant, j’ai dû changer de couleur, je dois être pâle comme un linge… mon cœur a fait un sursaut ! Et il t’annonce le truc, comme ça, froidement, direct, sans fioriture ! On ne peut pas dire qu’il prend des gants, pépère !

    Moi qui n’ai jamais eu la moindre opération de ma vie, pas même la petite appendicite si classique, me voilà, en deux mots, condamné à me faire charcuter ! Car, pour moi, le terme biopsie m’évoque le coup de scalpel dans le dos pour aller prélever un morceau de mon rognon à la source ! Je ne vous dis pas le cinéma que je me suis fait, mentalement, pendant les quelques secondes qui ont suivi !

    Et, sans plus d’explications, le voilà qui remplit des papiers en me demandant quel jour de la semaine suivante me conviendrait… en fait, je n’ai pas vraiment le choix puisqu’il enchaîne en me disant :
    – Ce sera pour mercredi. Vous venez mardi en fin d’après midi pour les examens et radios.

    Et hop, au revoir Monsieur, dégagez, bonjour chez vous et au suivant !

    Plutôt rapide et sèche, la consultation ! Ah oui, c’est vrai : visite publique ! J’espère qu’il est un peu plus prolixe et onctueux pour la visite privée… qu’on en aie pour son argent ?

    Me voilà d’un coup dehors, sans avoir pu ni su réagir et poser la moindre question. Ne vous moquez pas, cela a bien dû vous arrivez à vous aussi, la première fois ! Et puis, à l’époque, les mandarins ne perdaient pas trop de temps en explications… leurs sentences tombaient et n’appelaient aucun commentaire. Eux détenaient le savoir et le pouvoir… vous, pauvre malade n’aviez qu’à acquiescer et à subir !

    Les droits du malade, la consultation du dossier médical ? Même pas en rêve en 1987 !

    Bienvenue dans le monde sans pitié de l’assistance publique !

    #12607
    bd91
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    Chapitre 7 : PBR ?

    Internet n’existait pas encore à cette époque (enfin je n’y avais pas encore accès !), il m’a donc fallu aller chercher des infos dans une librairie spécialisée en ouvrages médicaux pour savoir à quoi m’attendre ! Voilà ce que j’ai trouvé :

    « La ponction biopsie rénale, ou PBR, consiste en un prélèvement d’un ou de plusieurs petits fragments de rein (parenchyme rénal). Un seul rein est biopsié car dans les maladies rénales, les lésions touchent les deux reins. Les fragments sont ensuite examinés au microscope. Un certain délai est donc nécessaire pour obtenir le résultat de cet examen.

    Le but est de préciser le diagnostic (cause et/ou catégorie de maladie rénale), le pronostic (évolution future et surveillance à prévoir) et/ou le traitement. »

    Et, ce qui m’intéressait encore plus :

    « La ponction s’effectue sous anesthésie locale. Vous êtes installé à plat ventre sur un plan dur. La ponction est effectuée avec une aiguille à usage unique. Le repérage du rein biopsié s’effectue par échographie ou sur des clichés radiologiques réalisés antérieurement.
    Après la ponction, il vous est demandé de rester au lit. Au cours des 12 premières heures, vos urines sont recueillies afin d’en surveiller la coloration. Votre pression artérielle est surveillée.
    »

    Bon, voilà qui me rassurait plutôt… a priori une simple piqûre et non une opération !

    Ouaih… mais la réalité dépasse toujours la fiction ! En fait, si cela ne fut pas vraiment douloureux, je me souviens encore aujourd’hui de la sensation bizarre que j’ai ressenti lors de cette fameuse PBR !

    Attendez… on y arrive !

    Le mardi suivant, je retrouve le bâtiment de la néphro, avec mon sac contenant une tenue de jogging (je ne me voyais pas du tout en pyjama à l’hôpital !), des savates et mon nécessaire de toilette, accessoires bien suffisants pour une nuit et une journée d’hospitalisation.

    Le moral est léger, je ne suis pas très fiérot… c’est ma première expérience de ce type… elle sera suivie de beaucoup d’autres !

    Je me suis retrouvé dans une chambre monumentale, à la dimension du bâtiment, seul (ça c’était plutôt sympa !) Une infirmière est venue me faire une prise de sang pour, me dit-elle, évaluer mon temps de saignement. La prise de tension se révélant, comme de coutume, un peu élevée, j’eu droit à un médicament à laisser fondre sous la langue (Adalate si ma mémoire est bonne) Puis, on m’envoya passer une radio du thorax, recto verso, dans un autre service.

    Ce fut tout pour le reste de cet après midi. Plateau repas (sans sel !) vers 18h30 (dur, très dur à cette heure… à 21 heures, je crevais la dalle !), soirée télé et extinction des feux aux alentours de 23 heures.

    Quant à dormir, là, ce fut une autre histoire ! La perspective de l’intervention, le calme tout relatif de l’environnement du service la nuit, le passage incessant des infirmières pour contrôler ma tension et me demander si tout allait bien (oui, merci… je venais juste de fermer l’œil !) n’ont pas concouru à rendre mon sommeil des plus profond !

    Le lendemain matin, aux aurores, réveil en fanfare par l’entrée tonitruante de la nouvelle équipe de jour… nouveau prélèvement… tension… température… et… en guise de petit déjeuner ; un petit cachet pour me détendre !

    Biopsie prévue à 9h30, me dit-on !

    Ca se rapproche… je suis dans mes petits souliers !

    #12704
    bd91
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    Chapitre 8 : Et une PBR, une !

    A l’heure dite, à peu de chose près, le professeur arrive dans ma chambre, suivi d’une infirmière porteuse d’un haricot contenant, je le pense, les instruments de ma torture. La PBR va donc se passer ici, sur mon lit… pas de salle particulière ni de table pour officier… on fait ça à la bonne franquette !

    Je me retrouve torse nu, couché sur le ventre. Je n’ai pas les moyens de voir grand-chose dans cette position… cela n’est peut être pas plus mal, je n’ai pas le loisir de me faire peur en voyant ce qui va m’arriver… quoique, l’inconnu n’est pas sans effrayer !

    Je l’entends qui demande des trucs à son acolyte qui lui passe ce qu’il lui réclame. Tout en me badigeonnant d’abondance le dos d’un liquide assez froid, il me dit qu’il va d’abord me faire une injection d’anesthésiant contre la douleur et que cela va piquer légèrement. Ouaih… léger… doux euphémisme… il n’y a rien pour endormir la douleur de cette première piqure ?

    Pendant que le produit fait son effet (enfin, je l’espère), je le sens qui prend des mesures avec ses doigts sur mon dos. Apparemment, il travaille au pif, subodore l’emplacement de mon rein (c’est celui de gauche qu’il semble avoir choisi) par de savants calculs en partant de points de repère de mon anatomie dont il semble avoir le secret. Je peux vous assurer que c’est le seul que je verrais procéder de cette manière et ce, de manière plus efficace que bien d’autres !

    Il trace des signes cabalistiques sur mon épiderme avec ce que je pense être un feutre. Serait-ce une cible qu’il est en train de me dessiner ? Il me dit alors, toujours de manière aussi laconique :
    – Je vais maintenant vous piquer… respirez un grand coup et ne bougez plus !

    Je sens alors une aiguille, qui me semble être bien mahousse, rentrer dans mes chairs, à vrai dire sans me provoquer trop de douleur. Puis, une fois stabilisée, une sensation d’aspiration assez énorme : j’ai l’impression qu’une partie de mon intérieur passe en entier dans la seringue, comme si je me vidais en partie à l’extérieur. Cela n’a duré que quelques secondes mais l’impression n’a pas été des plus agréables.

    L’aiguille retirée, il applique à sa place une compresse qu’il va maintenir appuyée un bon moment, tandis qu’il tend la seringue à l’infirmière.
    – Voilà, c’est terminé, me dit-il. Vous devez rester allongé, sans bouger pendant plusieurs heures. Vous maintiendrez ce sac de sable pour comprimer la ponction. Si vos urines sont teintées, vous appelez l’infirmière de garde. Au revoir, Monsieur !

    Un bavard, je crois vous l’avoir déjà dit !

    Et je me retrouve tout seul… je me remets sur le dos… je sens une gène plus qu’une vraie douleur… sois patient, dès que l’effet de l’anesthésique aura disparu, tu aura un peu plus mal ! Bon… alors… et ce sac, qu’est-ce que j’en fais ? Il sert à comprimer ! Je me le mets donc sur le ventre, du côté gauche !

    J’angoisse quand même un brin… et si jamais il m’avait piqué dans l’artère rénale ou bien la veine ? Bonjour l’hémorragie interne ! Du coup, je me force à pisser dans le pistolet qui m’a été laissé.

    Détail scabreux mais on est entre nous… je ne me suis jamais servi de cet engin… comment fait-on ? Couché sur le dos, cela ne me semble pas des plus pratique et un tantinet dangereux pour le drap ! En même temps, on m’a dit de ne pas bouger, donc je ne peux pas me lever ! Je coupe la poire en deux en me mettant sur le bord du lit et sur mon côté, le pistolet dans le prolongement de mon… (je ne vous fait pas de dessin) ! Je pisse. Vite, je regarde… l’urine est claire… ouf, tout va bien pour l’instant.

    Je résume… je ne vais pas vous infliger ces heures d’immobilisme et d’attente… cela n’apporte rien de plus au récit !

    Si, tout de même une chose… au bout d’une heure, on vient me voir (savoir si je ne suis pas mort ?) et là… j’apprends que le foutu sac… c’était dans le dos que j’aurai dû me le coller !

    Si en plus il faut tout deviner dans cet hosto !

    #12749
    bd91
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    la suite… bientôt !
    je souffle un brin…
    8)

    #13114
    bd91
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    C’est reparti pour la suite de mes mésaventures néphrologiques…

    Chapitre 9 : Glomérulonéphrite

    Pour être tout à fait exhaustif, surtout pour les néophytes, mais sans chercher à vous faire peur, il est bon de parler des incidents ou complications éventuels de ces biopsies qui sont, fort heureusement, assez rares.

    Pendant l’examen, la survenue d’un malaise vagal est possible.

    Après l’examen peuvent survenir :
    – une hématurie, c’est à dire la présence de sang dans les urines,
    – un saignement péri-rénal (hématome péri-rénal).
    En cas de persistance d’un saignement et/ou de saignement abondant, l’hospitalisation peut être prolongée de quelques jours. Une transfusion de sang peut être indiquée. Exceptionnellement, une intervention radiologique ou chirurgicale peut être nécessaire.

    Ceci étant dit, je n’ai, pour ma part jamais eu ce genre de problèmes. J’en parle en connaissance de cause puisque après cette grande première, j’en subirai encore une bonne douzaine !

    Le résultat de mon prélèvement me fut communiqué quelques jours plus tard, lors d’un nouveau rendez-vous.

    Je fus pour le moins désappointé lorsque le professeur m’annonça que le fragment de rein n’avait rien indiqué d’anormal. Cela semblait être prévisible dans la mesure où mon affection, au stade primaire, ne touchait que certaines zones du rein (les glomérules) et qu’il serait nécessaire d’effectuer des biopsies à plusieurs reprises pour ne pas passer à côté de la lésion. Nouvelle joyeuse ! Il fallait remettre ça ! On se met d’accord sur une nouvelle date… et c’est reparti !

    Me revoici donc sur les lieux des délices… je vous passe les détails et préparatifs déjà connus.

    Le professeur me ponctionne gentiment… je suis prévenu, donc plus détendu… Mais, ô surprise, aussitôt fait, il recommence, une deuxième fois, à un autre endroit… pour la sécurité, me précise t’il ! Deux pour le prix d’une ! Plutôt jouissif avec ces deux points qui m’élancent !

    Bref, pas vraiment un bon souvenir tout de même…

    Cette fois-ci fut heureusement la bonne, si je puis dire, car c’était aussi le début d’une inéluctable mésaventure : la mise en évidence, sans appel, de mon insuffisance rénale.

    Ma maladie portait le nom bien sympathique de glomérulonéphrite à hyalinose segmentaire et focale, pathologie touchant aussi bien l’adulte que l’enfant et se caractérisant par des dépôts d’aspect hyalin, touchant certaines zones du rein : les glomérules rénaux. Les dépôts en question sont irrégulièrement répartis à l’intérieur même du tissu rénal et peut se compliquer par une atteinte rénale et plus spécifiquement des néphrons, à l’origine d’une diminution de leur quantité et de leur volume. La maladie survient le plus souvent autour de 2 ans, dans 90% des cas chez les garçons, souvent quelques jours après une infection, un vaccin, un syndrome grippal. Elle entraîne une insuffisance rénale d’évolution lente : dans mon cas, je devais traîner ça depuis plus de 30 ans !

    Dommage que les antibiotiques n’étaient pas encore ce qu’ils étaient dans ma petite enfance… j’en payais cher le prix aujourd’hui !

    Mon professeur avait l’air soucieux de circonstance… il me fit comprendre que cette affection était très grave et allait, sans coup férir, arriver au stade terminal et nécessiter un recours à la dialyse.

    Sans trop savoir encore précisément ce que ce terme signifiait, je lui demandais quelle en était l’échéance ? Il me répondit que cela était difficile à pronostiquer, mais qu’avec un suivi régulier, un régime approprié et quelques médicaments, on pouvait sans doute tabler sur trois ans…

    Son diagnostic se révéla totalement exact, car c’est exactement le temps dont je disposerai pour me préparer à cette issue inévitable !

    #13116
    Martial
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    Excellent !!! Je oens equ’il va falloir découper ta série en “saisons”. Je ne sais pas si tu en as encore sous le pieds, mais c’est parti pour 🙂

    #13186
    bd91
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    Chapitre 10 : La sentence est tombée !

    A l’énoncé d’une telle nouvelle, il y a bien des manières de réagir, sûrement autant que les individus concernés. Dans un premier temps, bonjour l’atémi sur la nuque ! Voilà comment l’on passe, en une fraction de seconde, de la condition de bien-portant à celle de malade (chronique) !

    Et bien sur, dites-le avec des gants, précautions oratoires, allusions à peine voilées, avec tact et modération ! La sentence est tombée, sans fioritures, sans beaucoup d’explications… du brut de fonderie. Pas vraiment le temps de tout comprendre, de poser toutes les questions utiles, d’essayer d’en savoir plus… assommé… KO technique… OUT ! Au revoir, à la prochaine, et au suivant !

    Remarquez, la franchise, je suis plutôt pour ! Je veux tout savoir… pouvoir me faire une raison… me préparer psychologiquement ! Sur mon lit de mort, je veux qu’on me dise la vérité… pas de faux semblants… de promesses bidons… de propos évasifs ou faussement rassurants… de langage tarabiscoté ou voilé… Je veux du concret, du réel… c’est ma vie, certes, mais c’est aussi ma mort ! J’ai le droit d’être mis au courant, quand même !

    Bien sûr, des annonces comme celle là, on a beau être costaud, cela rend plus que morose. Le ciel s’écroule, la terre s’ouvre sous vos pieds. On prend d’un seul coup surtout conscience que l’on est effectivement mortel.

    Eh non, cela n’arrive pas qu’aux autres, mon vieux, c’est ton tour, tu as gagné le gros lot ! Brusque passage dans une autre dimension, départ pour un voyage vers l’inconnu, sans possibilité de revenir en arrière… aller sans retour…

    En même temps, c’est le genre d’événement qui vous fait soudainement réaliser la force de votre caractère. Certains s’écroulent et se tapent la tête contre les murs, peuvent même songer au suicide, d’autres sont fatalistes et décident de prendre le problème à bras le corps, de faire de la résistance. Je faisais partie de cette deuxième catégorie, cela a été la grande découverte à cette occasion. Ne te laisse pas aller, mon cher, il faut te bagarrer, serrer les dents, ne pas te laisser envahir par l’angoisse et la crainte de l’avenir ! Il y a sûrement moyen de vivre avec !

    Ce qui fait surtout peur, c’est ce que l’on ne connaît pas ! L’insuffisance rénale et ses conséquences, la dialyse, c’était le grand mystère pour moi, à l’époque. Je n’avais aucune raison, jusque là de m’être intéressé au problème. Je suis devenu, depuis, vachement calé sur le sujet… j’ai eu le temps de faire mes universités sur la question… néphrologue amateur, à la force du poignet ou plutôt… de la fistule !

    Je savais, vaguement, qu’il était question d’être branché, plusieurs fois par semaine, sur une machine qui vous « nettoyait » le sang… mais, comment, pourquoi ? Il devenait urgent d’en savoir plus… à quel sauce allais-je être mangé ? Puisque le discours médical ne m’avait rien révélé des détails de ce qui allait m’arriver, je devais me débrouiller tout seul, me prendre par la main et aller chercher l’information là où j’étais sûr de la trouver immanquablement : chez les malades eux-mêmes !

    La solidarité entre patients, je savais que cela existait pour toutes les formes de maladies, il suffisait d’aller voir l’association qui devait forcément exister pour ce type d’affection !

    La première que j’ai trouvé s’appelait la FNAIR : Fédération Nationale d’Aide aux Insuffisants Rénaux. Il y avait une « antenne » à Paris, dans le 11 ème, du côté de Voltaire. Je décidais alors de les contacter par téléphone, afin de savoir si je pouvais passer les voir pour avoir des réponses à mes multiples interrogations.

    #13273
    bd91
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    Chapitre 11 : Visite à la FNAIR

    Le samedi suivant, me voilà avenue Ledru Rollin, non loin de la Mairie du 11 ème. L’association de l’AIR Région parisienne se situe dans un immeuble de l’avenue, au 2 ème étage, dans un appartement assez restreint aménagé en bureaux hétéroclites, agencés de meubles et rangements de récupérations. Quelques années plus tard, l’AIR déménagera à l’étage au-dessus pour un appartement plus grand.

    Je fus reçu par une petite équipe de bénévoles, malades et accompagnants qui assuraient des permanences, les mardi et samedi après-midi. L’une des vice-présidentes qui était également la rédactrice en chef de la revue de la Fédération, s’occupa tout spécialement de moi.

    Elle me parla en détails de l’insuffisance rénale, de ses traitements, contraintes et servitudes, et répondit parfaitement à toutes mes interrogations. Elle me décrivit également la nature, les buts et les missions de l’association.

    Historique FNAIR issu du site : http://www.fnair.asso.fr/

    « Une quinzaine de dialysés issus des régions parisienne et lyonnaise qui voulaient améliorer le sort et les soins de personnes souffrant d’insuffisance rénale ont eu l’idée de créer, dans les années 1970, chacun dans leur environnement, une association d’insuffisants rénaux. Ils étaient convaincus qu’une dialyse de qualité pouvait permettre une réhabilitation, tant sur le plan socioprofessionnel ou familial que sur celui des loisirs.

    S’étant rencontré, ils décidèrent de susciter d’autres vocations dans les autres régions. Tant et si bien que la Fédération Nationale d’Aide aux Insuffisants Rénaux a vu le jour en 1972. Aujourd’hui, après 35 années d’existence, la FNAIR compte plusieurs milliers d’adhérents et fédère 25 Associations régionales (AIR) animées par plus de 500 bénévoles, patients et accompagnants.

    Dans chaque association, une assemblée générale annuelle élit un bureau régional.

    Les AIR fonctionnent de manière autonome et sont localement en liaison avec les différents services régionaux traitant des problèmes de l’insuffisance rénale, DDASS, DRASS, ARH, CPAM et CRAM, ainsi qu’avec les médecins néphrologues.

    Certaines régions sont découpées en bureaux départementaux afin d’être plus proche des patients.

    Tous ces responsables militants bénévoles sont proches des adhérents, assurent le recrutement, accueillent et conseillent les nouveaux patients, les informent sur les traitements, leurs apportent une aide morale et financière, les informent sur le rôle de l’Association, assurent la liaison entre les Centres de dialyse et les bureaux d’Associations ainsi que les contacts avec les médecins.

    Ils participent aux conseils d’administration des structures de dialyse hors centre et organisent une vingtaine de colloques médicaux à travers la France, chaque année. »

    L’association de la région parisienne était la plus importante en nombre d’adhérents (1300) à l’époque, nécessitant un gros travail administratif : tenue du fichier des adhérents, correspondances, téléphone, réceptions des visiteurs, informations, aides morales et financières, démarches diverses, manifestations et colloques médicaux, participations à la revue nationale. Toutes ces tâches nécessitaient le concours de bénévoles trop peu nombreux malheureusement, malgré le « potentiel » de malades sur la région qui était de plus de 5000 !

    Je dois dire que j’ai été pour le moins admiratif du travail accompli par cette poignée de malades qui trouvaient encore les ressources de donner de leur temps, prenant sur leurs congés et loisirs, la plupart en sus de leur travail et de leurs séances de dialyse. Cela était pour moi plutôt réconfortant. Puisqu’ils étaient capables de faire tout cela bien qu’étant malades, il n’y avait aucune raison de désespérer ! Le courage et l’abnégation de ces militants étaient exemplaires.

    Cette visite me regonfla à bloc.

    Devant mon intérêt pour le travail réalisé, je fus, bien entendu, sollicité pour rejoindre leurs rangs ! Il était encore un peu tôt pour m’investir plus avant dans cette entreprise. Je ne savais pas encore que j’allais, quelques temps après, « signer » pour plus de quinze ans de collaboration avec cette association !

    Je me proposais, par contre, de réaliser quelques dessins humoristiques, dont j’avais la pratique depuis toujours, pour égayer la revue qui me paraissait bien austère ! Je me souviens que la secrétaire, dialysée au long cours et doyenne de l’AIR (75 ans), qui n’avait pas la langue dans sa poche, n’avait pas vraiment cru à cette promesse…

    Elle fut bien surprise lors de mon retour, quinze jours plus tard, avec une série de dessins !

    Ce fut, pour moi, le début d’une existence annexe, pleine de rencontres et d’enrichissements.

    #13286
    bd91
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    Chapitre 12 : Fatalitas !

    Fort de toutes ces informations, j’en savais désormais plus sur ce qui me pendait au nez ! Je n’irais pas jusqu’à dire que j’envisageais l’avenir sur un air radieux et parfaitement serein, mais il est sûr que cette visite m’avait un peu regonflé le moral. Ce qui m’était tombé dessus était certes un coup du sort qui allait modifier profondément mon existence et celle de mon entourage.

    C’était maintenant un fait acquis… le mal était là, poursuivant inexorablement sa destruction, sans aucune issue de secours… juste une question de temps. Je devais continuer à vivre avec une nouvelle perception de mon avenir, sans toutefois tomber dans un état de dépression dont il était sans doute fatal et naturel d’y sombrer !

    Les sentiments qui m’habitaient alors sont aujourd’hui difficiles à décrire, car les années ont passées et les souvenirs se sont estompés.

    Je me souviens cependant que j’en étais arrivé à une certain degré de fatalisme, en acceptant finalement, avec une sorte de détachement, cette nouvelle situation, comme si je la vivais en spectateur externe de ma propre vie. Peut être que cela était une forme d’autodéfense… plus de l’inconscience que du courage ?

    Je me raisonnais aussi en me disant que j’étais finalement assez chanceux, dans mon malheur, que cela m’arrive seulement à la quarantaine et non pas quelques décennies plus tôt !

    Au niveau professionnel, j’avais fait le plus dur du chemin : ayant démarré au bas de l’échelle, j’avais réussi à atteindre le niveau cadre en une vingtaine d’années. De ce côté-là, je n’avais donc pas trop de soucis et mon métier de comptable/informaticien n’était pas de nature à être incompatible avec des traitements répétitifs, lourds et fastidieux.

    Sur le plan familial, pas trop d’inquiétude non plus, bien que mon épouse se faisait sans doute plus de soucis sur mon sort que moi-même ! Quant à mes deux enfants, ils sortaient juste de l’adolescence et je devais seulement continuer à les aider à poursuivre leurs études, ce qui ne devait pas poser de problèmes majeurs étant donné l’assurance d’une continuité certaine de mon activité professionnelle.

    J’avais également, si les pronostics du professeur étaient exacts, un certain délai avant d’en arriver au stade terminal. Là aussi, on pouvait considérer ce laps de temps comme une chance de pouvoir se préparer psychologiquement au pire !

    J’aurai l’occasion, plus tard, de côtoyer des insuffisants rénaux qui ont été transférés en dialyse en urgence, quasiment du jour au lendemain, à la suite d’une destruction foudroyante de leurs reins ! La situation n’est certainement pas la même… je peux aisément comprendre le sentiment de panique et d’incompréhension que pouvaient ressentir ces malades.

    Voilà un résumé des sentiments que j’ai ressenti à mes débuts et qui allaient perdurer, en fait, tout au long de mon parcours d’IRC.

    Les mois ont passé, sans grands changements dans mes habitudes de vie. J’arrivais, tant bien que mal, à oublier par moments que l’épée de Damoclès était suspendue au dessus de ma tête.

    Je me sentais, à nouveau, dans la peau d’un malade, à chacune de mes visites trimestrielles à l’hôpital pour des contrôles sanguins et un tête à tête avec mon professeur qui faisait le point sur l’étendue de mon affection.

    C’est là où j’ai commencé à redouter la sanction du taux de cette fichue créatinine ! Celle-ci grimpait doucement mais sûrement, sans aucune baisse ni recul, me laissant, à chaque fois, moralement abattu pour quelques jours.

    Et puis, l’habitude aidant, je repartais sur les rails avec une confiance retrouvée en me disant que ce n’était pas encore pour cette fois ci !

    #13302
    bd91
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    Chapitre 13 : Changement de statut…

    Du côté de l’association, j’avais doucement mis le pied à l’étrier. Des 3 petits dessins du début, j’étais rapidement passé à un rythme plus important à chaque nouveau numéro de la revue. Dans le meilleur de ma « production », j’arriverai entre 15 à 20 illustrations chaque trimestre !

    A priori, cela avait l’air de plaire à la majorité des lecteurs, à l’exception de certains (assez rares cependant) qui les trouvaient trop “caustiques”. J’aurai l’occasion, au fil des ans, des rencontres ou des courriers, d’avoir des témoignages de satisfaction venant de tous les horizons, d’insuffisants rénaux, de médecins et personnel soignant.

    Nombre de mes dessins ont été reproduits, affichés dans des centres de dialyse et hôpitaux, tant en France qu’à l’étranger ! Ils auront apporté, j’espère, un peu de réconfort et de dérision dans cet univers pas franchement réjouissant, sans compter qu’ils constituaient, pour ma part, une excellente auto thérapie !

    Comme les dessins devaient illustrer, le plus souvent, des articles bien précis, je fus assez rapidement embauché au Comité de lecture afin d’en avoir connaissance dès la confection de chaque revue. J’ai ainsi contribué au choix et au contenu de chacun des numéros, me permettant de me perfectionner avec le monde de l’insuffisance rénale.

    Mes avis et suggestions ont du être “utiles” puisque je me suis retrouvé, quelques années plus tard, associé au Bureau exécutif de la Fédération, comme chargé de mission pour la revue, dans un premier temps, puis Secrétaire général adjoint ensuite, avec pour tâche complémentaire de rédiger tous les comptes rendus de chaque réunion, y compris les Assemblées Générales et les Conseils d’Administration ! Voilà ce qu’il en coûte quand on a quelques dispositions à pouvoir aligner deux phrases de suite !

    Ce nouveau « statut » d’adhérent associatif actif n’avait pas échappé à mon néphrologue puisqu’il était lecteur de la revue et appréciait visiblement le travail accompli par la Fnair. Il avait d’ailleurs été interviewé dans un numéro précédent à propos de la situation de la transplantation.

    Nos rapports furent, dés lors curieusement plus « conviviaux » ! Du jour au lendemain, je n’étais plus le malade “lambda” mais étais estampillé patient impliqué et motivé ! Nos rencontres épisodiques prirent une tournure moins protocolaire et moins réservée, sans toutefois sortir de nos rôles respectifs de médecin omnipotent et de malade impuissant (il ne faut pas rêver !)

    A chacune de mes visites, il me glissait des « messages » à faire suivre auprès des responsables de l’association :
    – Vous devriez parler de çà… demander ceci au Ministère… traiter de tel sujet…

    C’était assez marrant, finalement… rien à faire, le docte professeur ne pouvait s’empêcher de vouloir orienter le fonctionnement de son cheptel ignorant ! Tout de même sympa, au demeurant… cela prouvait qu’il s’intéressait un peu à nous !

    A l’époque, l’association n’avait pas aussi bonne presse auprès de pas mal de ses confrères !
    Des malades qui voudraient nous dicter notre conduite et qui prétendraient en connaître autant que nous ? Restez à votre place, messieurs les « suffisants » rénaux !

    Je ne grossis pas le trait, croyez-moi, je l’ai réellement entendu !

    Heureusement, la tendance commençait à s’inverser. Certains praticiens, à l’instar du mien, avaient compris tout l’intérêt que pouvait représenter un groupement de patients s’intéressant à leurs pathologies et à leurs traitements, capables d’en informer le plus grand nombre et de revendiquer un avenir meilleur auprès des instances décisionnaires. Loin de représenter une concurrence, ceux-ci ne pouvaient être que de précieux auxiliaires.

    Il fallait simplement que cela rentre dans les mœurs !

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