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Le récit


Jeudi 27 septembre 2001

Ce matin, nous nous levons aux aurores pour être à Paris dès 8h30. Alors que je réunis mes affaires pour préparer ma valise, une certitude me saute à la gorge : j'ai 28 ans et aujourd'hui, ma vie va prendre un tournant, je vais devoir dépendre d'une machine. Il n'y a aucune alternative, aucun autre choix possible.

Evidemment, le périphérique est complètement bouché, nous allons être en retard. Je stresse un moment, puis je renonce et je m'endors alors que Dominique me conduit vers la clinique ! Finalement, nous arrivons dans les temps, mais nous faisons la queue presque une heure aux admissions pour nous entendre dire qu'il faut aller directement au service de dialyse, ce sont eux qui feront les formalités.

Le néphrologue nous attend dans son bureau, il m'explique ce qui va se passer ce matin, nous reparlons un peu de la dialyse à domicile et de ses implications. Il évoque aussi le régime alimentaire qui m'attend, sans sel (encore !), pauvre en potassium et en phosphore. Par contre je vais devoir forcer un peu sur les protéines pour "reprendre du muscle". Ca n'a pas l'air très réjouissant. Puis il nous dit qu'il faut "y aller", qu'il y en a pour une petite demi-heure et qu'il vaut mieux que Dominique repasse un peu plus tard. Je suis très stressée et cela doit se voir, il me conseille de me détendre, mais rien n'y fait !

Je me retrouve une petite chambre, allongée sur le lit, j'assiste aux préparatifs. Une infirmière et un aide soignant nous ont rejoints, tout le monde revêt des blouses chirurgicales, masques, gants, etc. On m'installe des champs un peu partout, y compris sur le visage, et on me désinfecte le cou à la bétadine.

J'ignore toujours en quoi consiste réellement la pose d'un cathéter, je sais seulement que cela permet d'accéder à un débit sanguin suffisant pour permettre la dialyse. Mais ce que je vois me fait craindre que la procédure soit un peu plus "invasive" que je ne le supposais. Le médecin réclame un bistouri, ce qui fini de m'en convaincre. Il m'injecte l'anesthésique local dans le cou. C'est loin d'être agréable, mais j'ai la naïveté de croire que la suite sera indolore. En fait, la procédure consiste à introduire un trocart dans la jugulaire, par lequel on fait ensuite passer le cathéter. La principale difficulté étant de trouver la jugulaire, ce qui peut conduire à plusieurs tentatives. Je les sens toutes, et en détail, j'ai l'impression d'être poignardée. En plus je ne vois rien et j'ai du mal à respirer : le champ qui me recouvre le visage me donne l'impression d'étouffer. Je suis très tendue (on pourrait même dire complètement raide !), ce qui ne simplifie certainement pas les choses, j'agrippe instinctivement le drap sans parvenir à desserrer mes mains. A plusieurs reprises, je me mets à gémir et à me débattre. Ca n'est vraiment pas mon style, d'habitude j'intériorise les choses au maximum, mais là c'est plus fort que moi et je ne contrôle plus rien. A chaque fois je sens des mains m'empoigner et me plaquer sur le lit pour m'immobiliser.

Hormis la douleur et la peur, je ne me souviens pas de grand chose, sinon du fait qu'à un moment, j'ai clairement pris la décision de m'en aller sur le champs. Et j'ai même tenté de le faire, en vain évidement !

Faute de pouvoir le placer dans la jugulaire, le cathé atterrit finalement en "sous-clavière" et j'hérite d'un bel hématome à la base du cou, qui mettra plusieurs mois à disparaître complètement. Il est ensuite glissé dans ma veine cave, puis la partie externe est suturée à la peau.

C'est enfin terminé, ça m'a semblé durer une éternité. J'ai perdu dans le processus le peu de forces qui me restaient, je me sens complètement impuissante, dépassée par les événements et terriblement seule.

Ces quelques dizaines de minutes constituent encore aujourd'hui un des pires souvenirs que je conserve de mon expérience… Mais comme elles se situent à son commencement, elles me font redouter le pire quant à sa suite !

Je dois passer une radio des poumons pour vérifier le bon positionnement du Kt. L'aide soignant m'y emmène en fauteuil roulant. J'ai un mal de chien à me remettre debout et à enfiler mon tee-shirt, j'ai l'impression que cela tire sur le Kt et que je vais l'arracher. Je ne parviens pas à me redresser complètement, je reste voutée, penchée vers l'avant. Arrivée en radiologie, je dois de nouveau me déshabiller, puis maintenir ma poitrine collée contre une plaque métallique : une vraie torture.

Finalement, Dominique me retrouve assise dans mon fauteuil roulant alors que j'attends les résultats dans le couloir. A sa tête, je comprends que la mienne ne doit pas être terrible… Nous reprenons l'ascenseur pour le service de dialyse. Il me demande comment ça s'est passé mais je suis incapable de lui répondre.

Les radios sont normales, le Kt est bien positionné : ouf ! Je crois que j'aurais très mal supporté qu'on le trifouille de nouveau. On m'installe dans la même petite chambre, où un dialyseur a été monté. Je contemple la machine avec ses lignes, en plein rinçage… Paradoxalement, et sans doute parce que je suis encore sonnée par ce que je viens de vivre, je suis plutôt indifférente. J'ai surtout hâte qu'on en finisse. J'aimerais me sentir mieux, que tout cela soit derrière moi.
On me branche rapidement. Je vois pour la première fois mon sang progresser dans la ligne jusqu'au dialyseur. C'est assez étrange, je ne peux m'empêcher de penser que c'est ma vie qui s'écoule dans ce tube. Puis je chasse cette idée de mon esprit. Pas besoin d'états d'âmes en plus du reste.

Au départ, je ne ressens rien de spécial, hormis les points de suture qui commencent à me picoter. Je serai dialysée pendant 2h30 pour cette première séance. Le néphrologue me prévient qu'il se peut que j'ai la nausée, mais pour l'instant tout va bien. Peu à peu, une sorte de torpeur me gagne, j'ai du mal à garder les yeux ouverts et à fixer mes idées. Dominique est près de moi, mais nous n'échangeons que très peu, je ne dois pas avoir beaucoup de conversation. Au bout d'une heure environ, je commence à avoir un mal de tête carabiné. On me dit que c'est normal, il s'agit du "syndrome de déséquilibre", qui se produit fréquemment durant les premières dialyses : le taux d'urée dans le sang baisse trop vite, et provoque une hypertension intra crânienne.

On me donne du paracétamol, sans grand résultat. Au cours de la deuxième heure, je me sens plus que patraque, et complètement barbouillée. Dominique a juste le temps d'appeler une infirmière qui me tend un haricot. J'y déverse le contenu de mon estomac, c'est à dire le verre d'eau que j'ai absorbé un peu plus tôt. La dialyse se termine finalement, j'ai l'impression que ma tête va éclater et le Kt me fait de plus souffrir. Je réalise à peine qu'on me débranche de la machine. Dominique m'accompagne dans le service de chirurgie où je prends possession de ma chambre : je me glisse sous les draps avec soulagement.

J'ai demandé une télévision mais je n'ai absolument pas le courage de la regarder. Je suis groggy et ce fichu mal de tête ne me quitte pas de la journée. Le soir venu, il empire même, et les infirmières ne veulent rien me donner pour me calmer. Je ne parviens plus à parler, à formuler mes pensées. Je suis recroquevillée dans le lit, je ne tente même plus de lutter contre le malaise qui me submerge. Les minutes s'écoulent très très lentement.

Finalement, le chirurgien passe me voir. Visiblement, il ne me trouve pas en forme. Il tente même un "on fait un sourire à son docteur !" sans grand résultat. Je l'entends même parler de repousser la création de la fistule. Il se rend en dialyse en quête d'un néphrologue, et revient accompagné d'un jeune médecin qui me prescrit quelque chose pour m'aider à dormir. C'est très efficace, je sombre sans l'ombre d'un remords. Et sans avoir le temps d'éprouver le moindre soulagement !

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