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Le récit


Samedi 29 septembre 2001

Je me réveille vers 5h du matin. J'appréhende la dialyse qui doit débuter à 7h30, je ne voudrais surtout pas revivre le malaise de la première séance. On m'amène le petit déjeuner, un thé sans lait et deux biscottes sans sel, bref, rien de très excitant. Finalement une aide soignante vient me chercher avec un fauteuil roulant – je ne vois pas bien à quoi il va servir jusqu'à ce que je tente de me mettre debout et que ma tête commence à tourner – et m'engueule parce que je devrais savoir qu'on ne prend pas de petit déjeuner avant une dialyse (ah bon ?).

Nous arrivons au premier étage, et on m'installe dans "la grande salle", une pièce où siègent six postes de dialyse. Les autres malades sont déjà branchés, et je suis choquée de découvrir que la moyenne d'âge doit tourner aux alentours des 80 ans. Ils semblent tous grabataires, ma voisine directe gît sur son lit, la bouche grande ouverte, les yeux clos. L'ambiance est sordide, personne ne dit un mot, ni les patients, ni les soignants qui s'affairent. Je m'attendais à tout sauf à ça, et mon moral descend une nouvelle fois en flèche. Le coup de grâce sera asséné par l'infirmière qui vient défaire le pansement de mon Kt. Sans même me jeter un regard, elle déboutonne ma veste de pyjama et je me retrouve à moitié dénudée. Je suis tellement choquée que je ne pense même pas à réagir. Je ferme les yeux tandis qu'elle commence le branchement et je sens les larmes couler sur mes joues. Ce monde là n'est décidément pas le mien, je ne peux pas envisager qu'il fasse d'ores et déjà partie de ma vie. Des pensées de plus en plus sombres m'envahissent, je serre les dents pour tenter de ne pas pleurer, en vain. Finalement, une autre infirmière fait remarquer à la première que "je suis une jeune fille" et "qu'elle pourrait au moins me recouvrir avec le drap".

Je suis un peu rassurée par le contact du tissus. J'entrouvre les yeux, je découvre une fenêtre qui donne sur un ciel grisâtre. J'imagine que je m'envole, je fixe mon esprit sur cette idée bizarre et je me laisse envahir par la torpeur. J'en suis tirée par le néphrologue, qui vient m'expliquer qu'on va me transfuser. Il examine ma fistule nouvellement créée, me dit qu'elle a déjà commencé à "fonctionner" et me colle son stéthoscope sur les oreilles pour que je l'écoute. Il me demande finalement si j'ai des questions et semble surpris que je réponde par la négative. Dans l'état d'esprit où je me trouve, je n'ai absolument pas envie de discuter. Je veux juste qu'on me laisse tranquille.

Il me dit qu'il me verra dans son bureau après la dialyse, que ce sera plus facile pour parler. Tout ce qu'il voudra, pourvu qu'il me laisse reprendre mon vol. Je préfère mille fois divaguer entre les nuages, portée par mes ailes imaginaires, que d'être immobilisée sur ce lit d'hôpital, entravée par des tubes emplis de sang.

La dialyse et la transfusion commencent, pas de maux de tête ni de vomissements cette fois ci, heureusement. Je reste dans un état de semi-conscience provoqué par mon rêve éveillé. Ma maman est soudain près de moi. Elle a été autorisée à rentrer dans la pièce, non sans avoir été munie d'une blouse et de sur-chaussures. Elle semble perturbée de me voir ainsi branchée au dialyseur, et la tête que je fais ne doit pas la rassurer. J'essaie de retrouver le sourire, ça semble fonctionner. Mais je ne suis vraiment pas d'humeur à soutenir une conversation. Finalement, le médecin vient se présenter et tous deux commencent à discuter. Je n'écoute que d'une oreille, mais je les entends aborder le sujet de la greffe et du rein que maman veut me donner.

La dialyse se termine sans encombre, elle a duré trois heures cette fois et j'ai bien supporté la transfusion. J'ai finalement carte blanche pour passer le week-end à la maison, à mon grand soulagement : je ne souhaite qu'une chose à ce moment précis, m'éloigner de cet endroit que je juge alors peu accueillant. Mon Kt a été recouvert d'un pansement étanche. J'ai donc l'autorisation de prendre une douche, j'en rêvais depuis si longtemps ! Je m'exécute avec grand plaisir, puis je retrouve mes vêtements de ville, j'ai l'impression de reprendre forme humaine. Comme convenu, Dominique et moi retrouvons le néphrologue dans son bureau. Nouveau point sur la situation, il me prévient que la transfusion risque de me mettre à plat, puis il ajuste mon traitement : de nouveaux anti-hypertenseurs associés à un bêtabloquant (ma tension est toujours élevée, aux alentours de 18/11, et je suis "légèrement tachycarde"), davantage de diurétiques, du calcium, du fer, la liste est longue. Je parle de mes difficultés à trouver le sommeil, et il me prescrit également du stilnox.

Je suis consciente qu'il tente réellement de me venir en aide, c'est la première fois qu'un médecin me donne une information claire, complète et objective sur les conséquences de mon état de santé. Je m'en veux d'autant plus de mon hostilité manifeste et difficilement explicable à son égard… Pour le moment c'est réellement plus fort que moi ! Du coup, je reste silencieuse, et je laisse à Dominique le soin de poser les questions à ma place. Ce dont il ne se prive pas.

Finalement, nous quittons la Clinique, je suis libre jusqu'au mardi suivant et cela suffit à mon bonheur. J'ai décidé de penser à très court terme, puisque je ne parviens plus à envisager mon avenir différemment.

Après tout, j'ai la chance d'être en vie, ce n'est pas la grande forme mais ça pourrait être pire. Durant ces dernières 48 heures, mon existence a pris un grand tournant, je commence tout juste à en réaliser les conséquences et je n'ose pas encore m'y confronter totalement. Je verrai bien, je me laisserai glisser… Forte de ces bonnes résolutions, je m'endors dans la voiture lors du trajet du retour, et je passe le reste de la journée à légumer devant la télévision, à me faire dorloter… et à m'imaginer que je vole dans un ciel sans nuage.

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