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Le récit


Vendredi 28 septembre 2001

Ce matin, je n'ai droit qu'à un thé, la création de la fistule est prévue pour le début de l'après-midi. Je passe un coup de fil à ma maman. Alertée par les nouvelles de la veille, elle me dit qu'elle a prévu de prendre le train pour me rejoindre. Je suis soulagée de savoir qu'elle sera près de moi, Dominique est quant à lui au travail et ne pourra venir qu'en fin de journée.

Une infirmière me dit qu'elle a été prévenue de ce qu'il s'est passé cette nuit et qu'elle veut vérifier mon taux d'hémoglobine pour savoir combien de sang j'ai perdu. Je l'assure que je me sens mieux que la veille (et pour cause, le mal de crâne n'est pas réapparu !). Pourtant quand elle me demande d'essayer de me lever, j'ai beaucoup de mal à m'exécuter : j'ai la tête qui tourne et je me rassieds rapidement sur le lit pour ne pas tomber. Elle me fait une prise de sang, et entreprend de refaire mon pansement.
La matinée passe très vite, j'ai un peu perdu la notion du temps. Soudain, maman est près de moi, elle me remonte le moral. On me prépare pour le bloc : désinfection de mon bras. On me donne un sarrau tout neuf, mon troisième depuis cette nuit.

Finalement, un brancardier arrive et m'annonce qu'il va m'emmener passer une écho-doppler, afin de faire un "mappage" de mes veines, qui facilitera l'opération. L'examen se déroule sans problème, l'échographiste balade une sonde et dessine le trajet de mes vaisseaux avec un gros marqueur noir sur mes deux avant bras. Un appel téléphonique l'interrompt peu avant qu'il ait terminé : c'est le bloc, ils envoient un chariot pour venir me chercher.

Pendant le trajet, j'échange quelques mots avec le brancardier : nous avons le même âge, il est né quelques jours avant moi. Il me demande ce qu'on va me faire, et quand j'évoque la fistule, son visage se ferme. Un peu plus tard, alors que je patiente dans un couloir du bloc opératoire, je l'entends parler de moi à un de ces collègues : "j'ai descendu une fille de mon âge, elle va se faire poser une fistule, ça m'a fait mal au cœur. Je ne me vois pas dialysé à 28 ans."
Il réalise soudain que je suis là et s'interrompt. J'ai envie de lui dire que moi non plus, je ne m'y vois pas. C'est la première fois que je suscite la pitié, et ça ne m'emballe pas. En fait, jusqu'à ce moment, je n'envisageais cette opération que comme une étape, je réalise soudain qu'elle est bien plus que cela : elle marque mon entrée définitive dans le monde de l'insuffisance rénale. Dans ma vie, j'ai été tour à tour une petite fille, une adolescente, une étudiante, une ingénieur. Quoi de plus rassurant ? A partir de maintenant, pourtant, un nouveau qualificatif va s'ajouter à cette liste : une dialysée. Pas top.

On me conduit dans la salle d'opération, on m'installe sur la table. L'anesthésiste me pose une perfusion au poignet droit, et m'explique qu'il va endormir le gauche. Il enfonce une électrode sous mon bras, qui, sous l'effet d'une stimulation électrique, se met à tressauter sans que je puisse le contrôler. Puis il injecte l'anesthésiant jusqu'à ce que ces mouvements cessent et m'annonce que c'est terminé. Il m'avait avertie que la procédure ne serait pas très agréable, en fait elle est indolore et se déroule sans problème.

Le chirurgien arrive dans la salle, me demande si j'ai froid. Je réponds par la négative, mais il n'a pas l'air convaincu et réclame une couverture chauffante. Une infirmière pose un champ vertical entre mon visage et le futur site de la fistule, je suis un peu déçue de ne plus rien voir et de ne pouvoir assister à ce qui va suivre. L'anesthésiste m'injecte un produit dans la perf en m'expliquant que "c'est pour me détendre".
L'opération commence, je ne sens que de légères pressions sur mon poignet. J'essaie de suivre les conversations, mais j'ai de plus en plus de mal à me concentrer, je me sens flotter. Je m'endors finalement du sommeil du juste. Je me réveillerai à plusieurs reprises, à chaque fois j'aurai droit à une nouvelle injection de calmant et je replongerai en quelques minutes dans les bras de Morphée.

Après un court séjour en salle de réveil, je regagne ma chambre où maman m'attend. Elle semble rassurée de voir que tout va bien, je n'ai absolument pas mal puisque l'anesthésie est toujours active. Une infirmière me demande de la prévenir dès que je commencerai à ressentir une douleur dans le bras, elle me passera un analgésique dans la perfusion que j'ai conservée.
La néphrologue de garde passe et m'annonce que mon hémoglobine est tombée à 6, à cause du sang que j'ai perdu cette nuit. Durant la dialyse prévue le lendemain matin, on me fera une transfusion sanguine. J'étais supposée sortir de la clinique à la suite de cette seconde séance, mais elle préférerait que je reste au moins pour le week-end. Ca me met un méchant coup au moral.

Le reste de la journée se déroule paisiblement, les analgésiques font leur effet et je me sens bien, même si je suis un peu flagada. Seul le cathéter est toujours douloureux, surtout quand je bouge. Il me contraint à rester sur le dos. J'aimerais bien aller prendre une douche, mais lorsque je demande la permission on me répond qu'entre l'anémie, l'anesthésie et le reste, ce n'est vraiment pas raisonnable. Il ne manquerait plus que je tombe dans les pommes dans la salle de bain. Bref, mes projets d'ablutions sont remis au lendemain.

Je passe une nuit plutôt tranquille, l'infirmière de garde m'a prévenue qu'elle me poserait une nouvelle poche d'analgésique vers minuit, mais je ne m'en rends absolument pas compte.

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