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Le récit

Durant les semaines qui suivent, la "routine" de la dialyse va s'installer peu à peu. Tous les mardis, jeudis et samedis, nous nous levons aux aurores pour être à la clinique dès 7h30 du matin (le temps de trajet étant d'environ 1 heure, parfois plus, en fonction des encombrements).

Mon état général s'améliore, mon hémoglobine remonte peu à peu, grâce aux effets de la transfusion et surtout à 6000 unités d'Eprex deux fois par semaine. Ma fistule se développe très lentement, une sténose ou un vol vasculaire sont même évoqués, mais ces hypothèses sont levées par une écho doppler parfaitement normale. J'ai beaucoup de difficultés à supporter le Kt, il est souvent douloureux et me contraint alors à m'allonger. Il m'empêche de me tenir droite et de marcher sur de longues distances. Il est "positionnel"ce qui fait que je dois rester à l'horizontale pendant les dialyses, dès que je tente de me redresser un tant soit peu, le débit chute, et la machine se met en alerte.

Notre formation débute malgré tout, Dominique m'accompagne à chaque séance. Nous commençons par des cours sur les fonctions du rein, l'insuffisance rénale et ses conséquences, la dialyse, la greffe, etc. Nous sommes bientôt passionnés par le sujet, avides d'informations, et nous consignons des notes dans un cahier réservé à cet effet. Nous apprenons également le montage et le fonctionnement du dialyseur ainsi que tous les incidents qui peuvent survenir pendant une séance et la façon d'y remédier.

Dominique devient vite capable de gérer la plupart des alertes. Depuis qu'une infirmière lui a montré une aiguille à fistule, il redoute cependant le moment où il devra effectuer les ponctions lui-même. A plusieurs reprises, il assiste au "branchement"d'autres patients et leurs réactions parfois brutales ne sont pas pour le rassurer.

De mon côté, l'obligation de rester allongée pendant les séances m'empêche d'appréhender totalement le fonctionnement et le réglage de la machine, et ça m'énerve ! J'aimerais pouvoir assumer seule ma dialyse, même si on m'a dit et répété que ce n'était pas possible. Quoi qu'il en soit, je souhaite acquérir le plus d'indépendance possible, et cet obstacle m'en empêche pour le moment, j'attends avec impatience le moment où ma fistule pourra être utilisée, même si les infirmières m'assurent que le cathéter a au moins l'avantage de ne pas nécessiter de ponctions.

Nous prenons nos marques et sympathisons bientôt avec toute l'équipe, mes premières impressions ne sont plus qu'un mauvais souvenir. Nous savons maintenant que nous avons affaire à un personnel très compétent et qui met tout en œuvre pour nous faciliter cette période difficile et pour nous aider à la surmonter. Je me détends peu à peu. Depuis qu'une infirmière m'a dit qu'elle avait l'impression que j'allais me jeter par la fenêtre chaque fois qu'elle entrait dans la chambre, j'essaie de lutter contre mon anxiété, avec plus ou moins de succès !

Les séances en elles-mêmes se déroulent plutôt bien, même si le débit limité du Kt ne permet de filtrer qu'une vingtaine de litres de sang. Par contre elles m'épuisent complètement, en général je m'écroule dès mon retour à la maison pour une "sieste" qui peut durer quatre ou cinq heures.
Les choses s'améliorent cependant au fil des semaines, je me force à limiter puis à supprimer ces périodes de repos dans l'espoir de pouvoir reprendre mon activité professionnelle au plus tôt.

Je perds du poids, lentement au départ puis de plus en plus rapidement, j'ai moins d'appétit et le régime draconien qui m'est imposé n'arrange pas les choses. J'arrive régulièrement en dialyse en dessous de mon poids sec qui doit être constamment réévalué à la baisse.

La perspective du passage à la dialyse domicile et celle, plus lointaine mais néanmoins tangible de la greffe nous motive tous les deux pour affronter les difficultés du traitement. Nous prenons les choses comme elles viennent, en tentant cependant d'avancer. Nous tentons également de vivre le plus normalement possible, nous recommençons à sortir, restaurants, cinéma, shopping.
La fatigue, omniprésente, reste souvent un obstacle à ces bonnes résolutions, je m'efforce de la contrôler mais il m'est impossible de l'ignorer totalement.
"ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort"

Nous nous soutenons mutuellement, même si le moral n'est pas toujours au beau fixe. Dominique m'avoue un jour sa peur de me voir "me jeter par la fenêtre" lorsque je suis seule à la maison. Je le rassure en lui disant que dans la mesure où notre maison n'a qu'un étage, je ne risque pas de me faire très mal… En fait, l'idée du suicide a toujours été plus ou moins présente dans mon esprit, même si je n'ai jamais eu l'intention de passer à l'acte. C'est une alternative radicale, une échappatoire que je sais possible, au cas où les choses deviendraient trop difficiles. Je veux maîtriser mon destin malgré les événements, et le fait qu'une telle issue existe me rassure.

En fait, la principale difficulté que je rencontre est le constat que ma vie "d'avant" s'est soudainement et définitivement arrêtée, et que je dois dorénavant compter avec ce fil à la patte qu'est la dialyse. Un quotidien rythmé par les séances itératives, l'impossibilité de faire des projets à quel que terme que ce soit, la certitude que le reste de mon existence sera placé sous le signe de la maladie.

Je commence un long chemin dont je réalise déjà les implications, je me pensais invincible, immortelle, j'avais tort. Beaucoup d'aspects de l'existence auxquels j'aurais accordé de l'importance il y a quelques mois à peine me semblent maintenant totalement anodins et sans intérêt, je décide de ne me consacrer qu'à l'essentiel et de me battre pour lui.
Mon regard sur le monde change, je grandis, je deviens plus forte.

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