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Le récit


1er juin 2002 : retour dans le service

Je suis finalement transférée en néphro vers 10h30. Papa, averti de mon arrivée, m'attend dans le couloir. On m'installe dans une petite chambre individuelle. On nous avait prévenues que nous ferions "chambres à part" pendant les deux ou trois premiers jours, afin de ne pas assister à "nos souffrances respectives". Rétrospectivement, je pense qu'au contraire cela nous aurait aidées d'être ensemble et de partager ces moments, mais cela est certainement très variable en fonction des gens et des caractères. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas eu le choix.

Catherine, l'infirmière qui m'a préparée pour l'opération la veille, me souhaite la bienvenue et commence par me débarrasser des deux perfusions qui immobilisaient mon bras. Encore deux tuyaux en moins ! Elle m'apprend cependant, à ma grande déception, que je conserverai le Kt et la sonde vésicale pendant cinq jours… Nouvelles prises de sang, de tension, de température, injection de morphine et changement du pansement qui recouvre ma cicatrice : je la découvre, elle est finalement assez conforme à ce à quoi je m'attendais, fermée par une vingtaine d'agrafes. Mon ventre semble barré par une longue fermeture éclair. Je vois aussi très nettement le renflement provoqué par le greffon, c'est assez bizarre… On dirait qu'il est juste glissé sous ma peau. On me confirmera par la suite qu'il est en effet très superficiel.

J'avale un comprimé de Zélitrex, qui doit me protéger contre d'éventuels virus comme le CMV ou l'Herpés. Catherine me demande de la prévenir si je vois ou j'entends des choses bizarres : ce médicament peut provoquer des hallucinations ! Heureusement, ce ne sera pas le cas (du moins, je ne crois pas, la suite de la journée m'est apparue assez cohérente !).
Elle m'annonce qu'on va faire ma toilette, tant mieux, je commençais à me sentir vraiment sale et poisseuse, en plus j'ai découvert en même temps que ma cicatrice que j'étais recouverte d'un désinfectant rose bonbon des genoux jusqu'au menton ! Je la vois revenir avec une bassine d'eau tiède, une serviette et un gant jetables et un peu de savon liquide. Elle installe le tout sur la table à roulette qu'elle place au dessus de moi, puis me déclare qu'elle repassera débarrasser le tout dans un quart d'heure.

Je me retrouve seule dans la chambre, complètement désemparée. Je parviens à peine à décoller mes bras du lit. Après quelques piètres tentatives, je renonce à me laver seule : j'en suis incapable … Tout me semblait se dérouler pour le mieux depuis l'opération, mais cette expérience me fait prendre conscience qu'il me reste quand même un bout de chemin à parcourir. Finalement, deux aides soignantes qui passaient par là voient mon désarroi et proposent de me donner "un coup de main". J'accepte sans hésiter une seconde, à ma grande surprise. Je me surprends à m'abandonner complètement, je suis soulagée de me laisser prendre en charge et je me réjouis presque de ne pas avoir à lutter contre la dépendance…
J'hérite d'une chemise d'hôpital jaune, ça me semble étrange d'être recouverte par autre chose qu'un simple drap, et le contact du coton frais sur ma peau me réconforte. Enfin un élément vaguement familier dans cet univers de plastique et de métal qui m'entoure et m'emprisonne depuis quelques heures. Une éternité !

Papa déboule de nouveau dans la chambre, avec un message vidéo de maman enregistré à mon intention, auquel je réponds par le même biais. "ça va bien, ça s'est bien passé, j'ai pas mal" résume le contenu de nos échanges respectifs, pourtant à voir nos têtes, on comprend que ni l'une ni l'autre n'est très vaillante !

J'ai aussi une visite de la kiné du service, elle m'explique comment je dois plaquer mes deux mains contre ma cicatrice et remonter mon genou droit vers ma poitrine pour accompagner tous les mouvements qui risquent d'être douloureux. Elle m'indique également comment me débarrasser des mucosités qui encombrent toujours ma gorge suite à l'intubation.

La journée s'étire en longueur, je ne parviens toujours pas à dormir et il fait de plus en plus chaud. Ma chambre est orientée au sud et la fenêtre ne s'ouvre pas, ma seule arme "anti-soleil" se limite à la présence de stores, qui sont baissés au maximum.

Lors de la consultation d'anesthésie, on m'avait dit que j'aurais une pompe à morphine à ma disposition, en fait je dois sonner les infirmières chaque fois que je sens que la douleur revient à l'assaut pour obtenir une nouvelle injection, qui ne m'est octroyée que si la dernière date de plus de quatre heures. Je perds régulièrement la télécommande, ce qui fait que je suis obligée d'attendre la prochaine visite de contrôle (elles ont maintenant lieu toutes les deux heures) pour réclamer ma piqûre miracle… Le temps passe parfois très lentement, et je crois que je n'ai jamais tant espéré la sensation d'une aiguille pénétrant sous ma peau !

Heureusement, Dominique arrive dans l'après midi, sa présence me réconforte. Il a l'air véritablement soulagé de me voir "en forme", je pense qu'il s'attendait à ce que je me remette beaucoup moins vite et à ce que l'opération ait des suite nettement plus lourdes. Il allume la télé, mais j'ai encore beaucoup de difficultés à fixer mon attention. Mon esprit est comme fragmenté, il divague par moment, sans que je parvienne à le remettre en ordre… Il me faudra encore quelques temps avant de retrouver le plein usage de mes facultés de concentration.

Les médecins passent me voir, le chef de service déclare qu'on "ne dirait pas que j'ai été greffée hier". Il m'annonce également que ma créat est déjà normale, à 100 µmol/l et que tout le monde est épaté de la vitesse à laquelle mon nouveau rein s'est mis en route. Je continue à "pisser" des litres et des litres, mes urines sont mesurées toutes les heures et on compense leur volume par des perfusions de physio dans le cathéter. De nombreuses poches de médicaments y sont également reliées au cours de la journée, le solumédrol (seulement 250 mg aujourd'hui), les anti-rejets… On me pique aussi à l'héparine. On m'annonce que je ne pourrai pas avoir à manger tant que mon transit intestinal n'aura pas repris. De toute façon, je n'ai pas franchement faim pour le moment. J'ai par contre le droit de boire de l'eau à volonté.

La soirée arrive, et avec elle un rafraîchissement de la température particulièrement bienvenu. La lumière violente qui a filtré au travers des stores toute la journée s'adoucit enfin. J'ai l'impression qu'une vague de tranquillité s'abat d'un coup le service, bien que les couloirs soient toujours animés par une multitude de bruits qui me semblent maintenant presque familiers. Cela fait tout juste trois jours que j'ai pris pension ici, et j'ai déjà le sentiment que cet endroit fait partie de mon univers. Tant de choses se sont déroulées en si peu de temps, des événements qui se sont enchaînés presque naturellement, et dont je réalise pourtant déjà la portée et l'influence qu'ils auront sur mon existence à venir.

Je parviens enfin à regarder la télévision. Par contre, une vaine tentative de me plonger dans le dernier Stephen King (j'ai terminé le roman d'Anna Gavalda juste avant la greffe) m'apprend que la lecture est encore au dessus de mes possibilités ! Je décide de tenter de trouver le sommeil, le plus difficile étant de déterminer quelle position lui sera la plus favorable. Ma marge de manœuvre est très faible, je suis contrainte à rester sur le dos, toute tentative de rouler sur le côté étant très douloureuse. Après pas mal d'essais, je me retrouve finalement le torse légèrement relevé (vive les lits électriques) et les jambes semi-fléchies. J'éteins la lumière et je laisse la torpeur m'envahir… La nuit est pourtant très, très longue. Je somnole, sans parvenir à trouver véritablement le repos. Les visites des infirmières continuent, j'en viens à les attendre avec impatience : elles viennent rythmer le temps qui passe, et qui me rapproche d'un lendemain qui ne pourra être que meilleur.

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